Rozenn Milin

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Devient Breton qui le désire, chez nous le droit du cœur est plus important que le droit du sang ou le droit du sol.
Rozenn Milin

Pourquoi et comment être Breton ?

questions d'identité pourquoi et comment être breton

KuB a rencontré Rozenn Milin, femme de médias, passée par le service public de la radio et de la télévision en Bretagne. Elle a dirigé TV Breizh pendant les quelques années où l’ambition était d’en faire la première télévision régionale de plein exercice. Elle est en charge depuis une dizaine d’années d’un programme international de sauvegarde des langues menacées. Son propos sur l’identité culturelle est nourri par son expérience personnelle enrichie d’une vie d’études et d’engagements.

Rozenn Milin est une professionnelle de l’audiovisuel, née dans le Léon au sein d’une famille de paysans bretonnants. Elle a suivi des études d’histoire à Brest puis à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne. Par ailleurs diplômée d’Etudes Celtiques, elle parle cinq langues et est engagée dans la sauvegarde de la diversité culturelle et particulièrement linguistique.


Biographie

Elle démarre sa carrière à Radio Armorique (la radio de FR3) à Brest, et alterne ensuite pendant des années les séjours à l’étranger (Pays de Galles, Amérique du Nord et Centrale, etc.) et les postes en France (Radio France Bretagne Ouest, FR3 Bretagne Pays de Loire), où elle officie en tant que présentatrice et productrice de programmes, en breton et en français.

En 1986 elle s’installe à New York où elle étudie le théâtre et le chant, et joue off Broadway. Forte de cette expérience, elle revient en Europe, joue dans divers téléfilms en France et au Pays de Galles, puis redevient journaliste et présentatrice, notamment pour les chaînes de télévision galloises HTV et S4C. En 1998, Patrick Le Lay, PDG de TF1, lui confie la mise sur pied, puis la direction générale de TV Breizh. Elle s’investit corps et âme durant cinq ans pour créer et déployer la première chaîne de télévision régionale de l’hexagone, développant les secteurs de la production et du doublage en langue bretonne.

En 2004, elle rejoint l’ambassade de France de Pékin, en charge du cinéma, de la télévision, de la radio et des industries musicales. En 2006, elle élabore un projet de sauvegarde des langues en voie de disparition sur les cinq continents, qui sera repris et financé par la fondation Chirac. Elle dirige toujours ce programme intitulé Sorosoro tout en poursuivant des activités télévisuelles (série sur les langues en danger en Afrique pour Arte, 2013.)

ARCHIVE

Cheval couché vs cheval d'orgueil

L'affrontement Hélias - Grall

Passéisme ?
En 1977, Bernard Pivot invite, dans son émission littéraire Apostrophes, deux écrivains bretons : Pierre-Jakez Hélias et Xavier Grall. Ils débattent de leurs divergences sur la culture, les traditions et la défense de la langue bretonne. Le cheval couché de Grall est une réponse virulente au Cheval d’orgueil d’Hélias. En réalité Grall étrille Hélias, le reléguant dans une vision passéiste et régionaliste de la Bretagne. Hélias garde un calme et un sens de l’humour inoxydables sous les attaques de Grall.

Cet épisode est resté dans les mémoires car il a posé sur la scène médiatique un contentieux entre deux façons de vivre l’identité bretonne. Hélias est considéré comme l’un des auteurs les plus importants du siècle, auteur bretonnant d’abord, mais aussi écrivain breton d’expression française.


Deux personnalités

Son livre Le Cheval d’orgueil publié en breton en 1975, puis peu après en français, connaît un énorme succès en Bretagne mais également dans la francophonie et dans les pays anglo-saxons (traduction en 18 langues). Pour autant, P.J. Hélias n’a jamais fait l’unanimité, notamment dans la mouvance bretonne et bretonnante qu’il qualifiera d’intellectuelle dans son livre. Cette méfiance est formulée explicitement dans le pamphlet Le Cheval couché, 1977, de Xavier Grall. L’émission en fait écho.

Revenons rapidement sur ces deux personnalités :

Pierre-Jakez Hélias (1914-1995) est né dans la campagne du Pays Bigouden. Grâce aux bourses des pupilles de la Nation il fait des études et obtient l’agrégation de lettres. Enseignant, il a bien d’autres « casquettes » : il sera dès 1945 rédacteur du journal Vent d’Ouest du » Mouvement de la Résistance Unifiée « , puis, à partir de 1946, il dirigera une émission de langue bretonne qui sera diffusée par l’émetteur de Radio-Quimerc’h. Grand défenseur de la langue bretonne, il animera toute sa vie des émissions en langue bretonne et il publiera en français et en breton de nombreux ouvrages : oeuvres dramatiques, cantates (Cantate du Bout du Monde – 1958), poèmes, théâtre, reprises de mythes et de légendes celtiques. Mais c’est Le Cheval d’orgueil, suivi en 1990 de Quêteur de mémoire, qui le fait connaître au grand public.

Xavier Grall (1930-1981) : Au moment de l’émission, cet écrivain originaire de Landivisiau a quitté Paris où il était journaliste (à la Vie catholique et au Monde) pour retrouver la Bretagne. Ce retour a sans doute participé d’une recherche identitaire provoquée par ses enquêtes sur la Guerre d’Algérie. À partir de là, il construit une œuvre de littérature bretonne d’expression française tout en participant à de nombreuses aventures intellectuelles : avec Glenmor et Alan Guel, il est à l’origine des éditions Kelenn, où il publie Barde imaginé (1968), Keltia Blues (1971), La Fête de la nuit (1972), et Rires et pleurs de l’Aven (1978). Il écrira également dans le journal nationaliste la Nation bretonne.

La polémique naît lors de la parution du Cheval couché. Xavier Grall s’en prend à l’auteur du Cheval d’orgueil et plus particulièrement à l’épilogue qui semblait désavouer – mais de manière vague – certains intellectuels plus ou moins bretonnants qui sont traités de « bourgeois ». Les reproches que Grall formule sont ceux exprimés par les jeunes militants de la gauche bretonne qui, se sentant désavoués, reprochent à Hélias sa « bigoudènerie », c’est-à-dire sa vision d’une Bretagne immobile, son localisme voire son clanisme.

Hélias est t-il passéiste ? Ses œuvres mettent en scène un monde aujourd’hui disparu, celui de l’entre deux-guerres ou des années 50. Ses témoignages ont-ils alors une valeur ethnographique ? Lors du colloque qui lui a été consacré à Rennes en 1999, Francis Favereau a réaffirmé sa connaissance intime du terrain, mêlée à son talent de conteur hors pair.

ANALYSE

Identité culturelle, le malentendu

Publication de Patrick Charaudeau

Patrick Charaudeau, du Centre d’analyse du discours à l’Université Paris 13, publie sa contribution à un colloque organisé à Rio en 2004 .

Nous en avons retenu ici quelques passages qui fournissent un bagage pour avancer dans la réflexion.
« On vit en société, on se retrouve dans des groupes, on se définit à travers eux et en quelque sorte on leur appartient, du moins en partie. Qui suis-je dans le groupe, ou plus exactement, que suis-je dans le groupe ?
Des dangers nous guettent dès que l’on veut traiter de cette question : celui de la banalité qui nous fait prononcer des phrases du genre “on est tous différents” ; celui de l’idéalisation comme quand on milite pour le “dialogue des cultures”, car qu’est-ce que des cultures qui dialoguent ?

Les pièges : enfermer des individus dans des catégories qui ne les font agir et penser qu’en fonction des étiquettes qu’ils portent sur le front, les laisser se complaire dans leurs revendications…


Toutes nos sociétés sont composites et tendent à le devenir de plus en plus : mouvements complexes d’immigrations et d’intégrations d’un côté, multiplication du communautarisme de l’autre. Les identités se construisent davantage autour des communautés de discours que des communautés linguistiques. Il faut défendre l’idée que l’identité culturelle est aussi complexe que la mémoire sur laquelle elle s’appuie. Il faut défendre l’idée que l’identité culturelle est le résultat complexe de la combinaison :

entre le « continuisme » des cultures dans l’histoire et le « différencialisme » du fait des rencontres, des conflits et des ruptures ;
entre la « verticalité » des valeurs qui tendent à effacer les différences culturelles sous des symboles universels, et l’ »horizontalité » des rapports de domination/soumission des groupes entre eux entre la tendance à l’ « hybridation » des formes de vie, de pensée et de création, et la tendance à l’ « homogénéisation » des représentations à des fins de survie identitaire.

“C’est au cœur de la métamorphose et de la précarité que se loge la véritable continuité des choses” dit l’anthropologue Gruzinski.
Que faire ?
Le sujet doit entrer en résistance dit le sociologue Alain Touraine. Il y a plusieurs façons d’entrer en résistance. Il en est une autre qui est de notre responsabilité à nous, enseignants : former, éduquer les esprits pour donner des armes qui permettent d’analyser les événements sociaux et rendent les générations à venir plus conscientes des enjeux de la vie sociale. L’école devrait être le lieu d’inculcation de cette complexité identitaire, car il ne faut pas trop compter sur les médias qui fonctionnent, eux, par caricature, par catégories simplifiées. Un lieu où l’on prendrait conscience de la pluralité identitaire, des rapports de force et du jeu de régulation sociale dans lesquels elle se construit. Évidemment, tout système d’apprentissage a un coût. La question est de savoir si les gouvernements et les États qui en ont la responsabilité veulent l’assumer. C’est pourquoi cette affaire est éminemment politique. Et c’est pourquoi nous, citoyens, avons le devoir d’en exiger les moyens.

Entrer en résistance donc pour revendiquer la différence et, si besoin est, désobéir aux diktats de l’homogénéisation, pour construire des identités différenciées, voilà peut-être le nouvel humanisme. »

Retrouvez l’intégralité du propos de Patrick Charaudeau, du Centre d’analyse du discours à l’Université Paris 13

REVUE DU WEB

La France, création militaire

Questions d'identité est un livre d’entretiens menés par Rozenn Milin avec 19 personnalités bretonnes de tous secteurs (artistes, écrivains, politiques, industriels, scientifiques, paysans et marins), jeunes et moins jeunes, hommes et femmes.
Aux éditions Bo Travail, distribué par Coop Breizh

BRETAGNE ACTUELLE, Jérôme Enez-Vriad >>> Il est un leurre de penser que les identités régionales s’opposent à l’identité nationale. Cela reviendrait à dire que l’identité nationale s’oppose à la continentale, alors qu’il est tout à fait possible d’être à la fois Breton, Français et Européen.

Michel Feltin-Palas, L'Express >>> Face à Henri Guaino droit dans ses bottes, Rozenn Milin cite Michel Rocard : La France s’est construite sur la destruction des cultures bretonne, occitane, alsacienne, corse et flamande. La France est une création militaire faite de nations non homogènes.

Marie-Christine Biet, Unidivers >>> Montesquieu se demandait : Comment peut-on être persan ? La question se pose sans cesse et avec une acuité particulière dans les régions à forte identité.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    entretien Serge Steyer

    image Hervé Portanguen

    montage Françoise Le Peutrec

    Artistes cités sur cette page

    Rozenn Milin auteure identité bretonne

    Rozenn Milin

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